Fragments nomades
Aux temps anciens d’étranges individus bardés d’un drôle d’attirail battaient la campagne de France. Ampoules, ficelles, turbans, flasques et grimoires les paraient en une bizarre armure où l’éphémère le disputait au matériel : c’étaient les marchands d’Orviétans qui distillaient leurs médecines et leurs sciences aux chalands crédules. Ils vendaient du rêve et de la sorcellerie. Et le pouvoir de guérir ou de raccommoder les peines de cœur. Ils donnaient même la force d’échapper à quelques maléfices semés par des jaloux. Ils vendaient de l’espoir, du vent et des légendes que l’on se contait plus tard au coin de l’âtre. Serge Mansau crée des légendes et des contes comme un navigateur au long coeur de retour de traversées océanes, comme un baladin dont la besace est riche en chanson, comme un artisan de l’indicible et de l’infini qu’il faut enfin mettre en forme. Les statuettes, ces “Fragments Nomades”, dont il poudroie son chemin, s’ornent d’une “armure” de gris-gris, de fioles et de fiasques qui courent sur leur silhouette longiligne comme des cartouchières. Leurs apparences respirent du côté de l’Afrique, de l’Océanie, de l’au-delà des étoiles. Sortis d’un imaginaire primitif, ce sont des reliefs de dessins rupestres que l’artiste ressuscite du fond des âges. On les croit immobiles, elles se meuvent dans le silence de la nuit, dans l’univers de la fantasmagorie, de l’opaque et de la transparence. Tribu implacable et odorante dont les habits sont colorés de poudres de terre et de verre. Les fragrances viennent ajouter le souvenir à cette horde barbare, cette mémoire olfactive que Serge Mansau traque sans relâche et qu’il cherche à matérialiser dans une alchimie légère et pénétrante où se mêlent les objets et les émotions dans d’abracadabrantes architectures et de savantes constructions. Il y a du magicien chez ce sculpteur qui n’hésite pas à inventer des rites. Mais n’y a-t-il pas de la peur, de la frayeur à trop invoquer les Dieux. Le démiurge reste un homme : il ne volera pas aujourd’hui le secret du feu, il ne défiera les cieux et repliera ses ailes, modeste Icare, réaliste Icare. Seule une statuaire monte la garde à la porte des étoiles et lance dans l’espace des traits de verre, pics de glace immortelle. Elle veille sur nos repos, éloigne les cauchemars. Les “Fragments Nomades” peuplent nos déserts dans l’attente d’autres marchands d’orviétans à croire, dans l’impatience d’histoires de devenir. - Philippe Carteron